Exploiter le corridor Afrique-Inde : une opportunité pour dynamiser les exportations indiennes de marchandises

Par Shivank Goel

De l’adoption des technologies dans des pays comme le Ghana et l’Angola, aux partenariats entre les entreprises publiques indiennes et les fournisseurs d’énergie africains, les relations bilatérales s’approfondissent rapidement.
Lors du forum GTR Africa 2025, un panel d’experts — comprenant des représentants du service de recherche de la Banque de réserve de l’Inde, des chambres de PME et de grandes institutions financières — s’est penché sur la question de savoir comment l’Inde pourrait doubler son commerce extérieur pour atteindre l’objectif gouvernemental de 2 000 milliards de dollars d’ici 2030.
En 2024, les exportations indiennes de biens et services étaient estimées à plus de 800 milliards de dollars, en hausse de 5,6 % par rapport à l’année précédente. Néanmoins, les services continuent de surpasser les biens, avec huit points de croissance supplémentaires.

Pour que l’Inde atteigne un profil d’exportation plus équilibré et respecte ses objectifs nationaux, le renforcement des exportations de marchandises est indispensable. Et l’Afrique apparaît comme un facteur clé pour atteindre ces objectifs ambitieux, en tant que marché stratégique pour les exportations indiennes. Les institutions financières ont un rôle majeur à jouer pour soutenir ce commerce et libérer le potentiel du corridor Inde-Afrique.


Un marché en croissance, un alignement stratégique

L’Afrique abrite certaines des économies à la croissance la plus rapide du monde. Dans des secteurs tels que les infrastructures, les produits pharmaceutiques, les pièces automobiles, l’agriculture et les biens de consommation, les produits indiens gagnent déjà du terrain.
Des liens culturels et historiques communs, un environnement d’affaires majoritairement anglophone et des objectifs de développement similaires en matière d’éducation, de technologie, de santé et d’infrastructure, font des deux régions des partenaires commerciaux naturels.

Avec la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), le continent se dirige vers une intégration accrue, avec un marché accessible de 1,2 milliard de personnes, un PIB combiné de 3 400 milliards de dollars, et une réduction des droits de douane intra-africains. Cela transforme l’approche des exportateurs indiens, qui peuvent désormais envisager l’Afrique comme un tout, un pôle de croissance unifié, non seulement pour le commerce mais aussi comme plateforme d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales.


Des obstacles financiers et structurels à surmonter

Malgré ces perspectives prometteuses, les exportateurs indiens — notamment les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) — font face à plusieurs difficultés sur les marchés africains. L’un des principaux obstacles est la complexité logistique, y compris les contraintes d’infrastructure dans certaines régions, qui peuvent perturber les chaînes d’approvisionnement et augmenter les coûts et délais de livraison transfrontaliers.

Autre problème majeur : le risque de contrepartie. Dans de nombreux cas, il est difficile d’évaluer la solvabilité des partenaires commerciaux potentiels, ce qui peut dissuader les entreprises indiennes d’entrer sur de nouveaux marchés. À cela s’ajoutent la volatilité des devises et les inquiétudes liées au rapatriement des fonds, qui compliquent encore davantage les échanges.

De plus, beaucoup d’exportateurs — surtout les plus jeunes ou les plus petits — peinent à obtenir les financements de fonds de roulement ou de commerce nécessaires à leur expansion. Ces lacunes de financement peuvent limiter leur capacité à saisir les opportunités offertes par la croissance démographique et l’intégration régionale africaine.

Surmonter ces défis nécessite une approche financière holistique, combinant connaissance des marchés locaux, solutions de crédit adaptées, outils de gestion des risques, et modèles de partenariats à long terme.


La numérisation, un levier essentiel du financement du commerce

Dans un contexte de commerce mondial de plus en plus volatil, marqué par les droits de douane changeants, l’incertitude réglementaire et le durcissement monétaire, l’efficacité et la réactivité deviennent cruciales. La transformation numérique joue ici un rôle décisif pour réduire les coûts et améliorer l’accès au financement.

Le corridor Inde-Afrique représente l’un des axes les plus prometteurs pour le développement des exportations indiennes de marchandises dans la prochaine décennie.

Les innovations telles que les connaissements électroniques, les garanties basées sur la blockchain, ou encore l’usage de l’IA et du machine learning pour la vérification documentaire et la conformité, permettent de réduire les retards et les erreurs humaines dans les processus transfrontaliers. Là où les cycles traditionnels de financement commercial peuvent durer 60 à 90 jours, les solutions numériques permettent aux exportateurs de réagir plus rapidement aux évolutions du marché et de mieux gérer leur trésorerie.

Les banques et institutions financières qui investissent dans la numérisation portée par les Africains sont bien placées pour accompagner les exportateurs indiens désireux de s’implanter ou de se développer sur le continent. En développant des plateformes numériques compatibles avec les réglementations locales, ces partenaires financiers peuvent inaugurer une nouvelle ère de connectivité commerciale entre l’Inde et l’Afrique.


Tirer parti de la ZLECAf pour les chaînes de valeur régionales et mondiales

L’un des leviers les plus puissants à disposition des exportateurs indiens est la possibilité de considérer l’Afrique non seulement comme un marché final, mais aussi comme une base pour l’intégration dans les chaînes de valeur régionales et mondiales.
Avec la ZLECAf visant à éliminer les barrières commerciales intra-africaines, une entreprise qui s’implante dans un seul pays pourrait accéder à l’ensemble du continent sans droits de douane.

Cela ouvre des perspectives pour monter en gamme, via la fabrication locale, le transfert technologique, ou les coentreprises qui renforcent les capacités locales tout en élargissant l’empreinte commerciale globale de l’Inde. Cela favorise également une vision à long terme, fondée sur la prospérité partagée, plutôt que sur un opportunisme commercial de court terme.


Besoin de compétences et d’innovation inclusive

La croissance des exportations ne peut pas se faire en vase clos. L’Inde comme l’Afrique doivent investir dans la formation et le perfectionnement des compétences, notamment dans l’ingénierie, la logistique, la production et les infrastructures. Encourager les jeunes à se former dans ces domaines est essentiel pour bâtir une résilience commerciale durable.

La technologie doit être accessible et inclusive, avec des outils et des formations adaptés aux langues locales et aux niveaux d’éducation variés. L’objectif n’est pas de remplacer les humains par des machines, mais de les rendre plus efficaces grâce à la technologie, notamment dans le financement et la conformité commerciale.


Le rôle de la diplomatie

L’engagement diplomatique et économique croissant de l’Inde avec l’Afrique commence déjà à porter ses fruits. Lors de sa présidence du G20 en 2023, l’Inde a plaidé avec succès pour l’adhésion permanente de l’Union africaine, affirmant ainsi sa volonté de représenter le Sud global.

Aujourd’hui, l’Inde collabore avec des nations africaines dans l’infrastructure numérique, les plateformes de paiement, les projets énergétiques, la coopération navale, etc. De l’adoption de technologies dans des pays comme le Ghana et l’Angola, aux partenariats dans l’énergie, la relation bilatérale s’intensifie à grande vitesse.

Pour accélérer les échanges, les cadres politiques des deux parties doivent évoluer en faveur de l’ouverture, de la concurrence et de l’innovation. Des incitations à l’exportation, des investissements conjoints en R&D, des procédures douanières simplifiées et une réglementation prévisible joueront un rôle crucial.


Construire un corridor de prospérité partagée

Le corridor Inde-Afrique est l’une des perspectives les plus prometteuses pour l’augmentation des exportations indiennes de marchandises dans les dix prochaines années. Le contexte géopolitique est de plus en plus favorable, et il existe d’importantes synergies à exploiter.

En investissant dans la transformation numérique, l’accès au financement, le développement des compétences et l’alignement stratégique à long terme, les acteurs de l’écosystème commercial — des gouvernements aux banques, en passant par les PME et les grandes entreprises — peuvent bâtir un corridor porteur de croissance partagée et de résilience.

 » L’Afrique n’est pas seulement un marché à conquérir, mais un partenaire stratégique pour l’Inde dans la construction du commerce mondial de demain. « 

À propos de l’auteur :
Shivank Goel est spécialiste du corridor Inde-Afrique chez RMB. Il a participé en tant que panéliste au GTR Africa 2025, où il a contribué aux discussions sur les stratégies politiques et financières visant à accélérer les exportations de marchandises de l’Inde et à renforcer le corridor commercial Inde-Afrique.