Lorsque l’International Air Transport Association (IATA) tire la sonnette d’alarme, c’est généralement que le thermomètre du transport aérien commence à dépasser la zone critique. Et selon sa dernière mise à jour arrêtée fin octobre 2025, 1,2 milliard USD de revenus appartenant aux compagnies aériennes sont toujours bloqués par des gouvernements, empêchant toute repatriation des fonds — un verrou qui met en péril la continuité des opérations aériennes, déjà fragilisées par la volatilité économique mondiale.
Une crise largement africaine : 93 % des fonds bloqués dans la région Afrique–Moyen-Orient
Sur les 1,2 milliard USD identifiés, 1,12 milliard restent piégés dans 26 pays de la zone Afrique & Moyen-Orient. Pour un secteur dont les marges avoisinent 2 à 3 % en année normale, ce gel ressemble à une asphyxie progressive.
Willie Walsh, directeur général de l’IATA, rappelle l’évidence que beaucoup de gouvernements ont tendance à oublier :
« Les compagnies ont besoin d’un accès fiable à leurs revenus en dollars pour maintenir les opérations, payer leurs fournisseurs et garantir la connectivité. »
L’enjeu dépasse de loin la simple trésorerie : la connectivité aérienne est un catalyseur logistique, alimentant les chaînes d’approvisionnement, le commerce transfrontalier, le tourisme, les investissements et l’exportation de produits frais ou pharmaceutiques.
Top 10 des pays les plus bloquants : l’Algérie désormais en tête
| Rang | Pays / Zone | Montant bloqué (USD) |
|---|---|---|
| 1 | Algérie | 307 M$ |
| 2 | Zone XAF (BEAC) | 179 M$ |
| 3 | Lebanon | 138 M$ |
| 4 | Mozambique | 91 M$ |
| 5 | Angola | 81 M$ |
| 6 | Eritrea | 78 M$ |
| 7 | Zimbabwe | 67 M$ |
| 8 | Ethiopia | 54 M$ |
| 9 | Pakistan | 54 M$ |
| 10 | Bangladesh | 32 M$ |
Algérie : un bond spectaculaire
Pour la première fois, l’Algérie occupe la première place, conséquence d’une nouvelle exigence imposée par le ministère du Commerce, s’ajoutant à une procédure administrative déjà lourde.
Résultat : un effet d’accumulation qui inquiète les transporteurs présents sur le marché.
Zone XAF : un reflux timide mais insuffisant
Les fonds bloqués y passent de 191 à 179 millions USD. Une amélioration modeste, car les compagnies dénoncent encore le parcours à trois validations internes imposé par la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC).
Les délais restent tels que les compagnies peuvent attendre plusieurs mois avant d’obtenir des autorisations de transfert.
Un risque structurel pour les chaînes logistiques africaines
Au-delà de la santé des compagnies aériennes, cette rétention de devises menace directement les chaînes d’approvisionnement :
1. Fret aérien perturbé
Des opérateurs hésitent à augmenter leurs fréquences, voire réduisent leurs capacités. Résultat :
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hausse des coûts de transport,
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volatilité des capacités cargo,
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risque pour les exportations de produits frais (agro, fleurs, halieutique).
2. Impact sur la logistique pharmaceutique et e-commerce
Les hubs régionaux — notamment d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe — dépendent d’un transport aérien stable pour les produits sensibles, à haute valeur ou à délai court. La stabilité des flux s’érode lorsque les compagnies réévaluent leur exposition financière.
3. Moindre attractivité pour les investisseurs supply chain
Un environnement où les revenus ne peuvent pas être rapatriés refroidit les opérateurs logistiques internationaux, qui hésitent à déployer entrepôts, centres de services ou bases cargo.
Pourquoi les gouvernements bloquent-ils ces fonds ?
Selon IATA, trois raisons principales alimentent ces restrictions :
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Pénurie chronique de devises (cas récurrents en Afrique australe et CEMAC)
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Contrôles de capitaux liés à l’instabilité politique ou à l’inflation élevée
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Procédures bureaucratiques extensives sans justification économique réelle
Pourtant, les accords bilatéraux de services aériens — signés par tous les États concernés — garantissent explicitement la libre convertibilité et la repatriation des revenus.
L’appel de l’IATA : priorité au rapatriement malgré la rareté du dollar
Walsh ne dédouane pas les États confrontés à des arbitrages difficiles en matière de change. Mais il insiste sur le coût à long terme :
« Les bénéfices durables — en termes de commerce, d’emplois et d’intégration économique — surpassent largement les soulagements budgétaires à court terme. »
Autrement dit, bloquer les fonds des compagnies aériennes revient à se tirer une balle dans le pied : moins d’avions, moins de connectivité, moins de commerce — donc moins de recettes fiscales.
L’IATA pousse par ailleurs une initiative de transparence en lançant une page de suivi trimestriel consacrée aux fonds bloqués, destinée à mettre la pression sur les gouvernements concernés.
L’Afrique doit choisir entre contrôle du change et connectivité stratégique
Le transport aérien demeure un maillon indispensable pour les économies africaines, où les alternatives maritimes ou ferroviaires restent insuffisantes.
Bloquer les revenus du secteur revient à fragiliser l’ensemble de la chaîne logistique africaine, du producteur exportateur au client final.
Si la tendance ne s’inverse pas rapidement, les compagnies pourraient réduire capacités, augmenter les tarifs, voire quitter certains marchés.
Un scénario dont ni les États ni les acteurs de la supply chain africaine ne sortiraient gagnants.

